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A+A- : Ecrits d'âme d'une jeune psy
9 février 2014

A nous citoyens français qui ne pouvons blâmer l'immigration...

S, a aujourd'hui 33 ans, né au Daguestan, il a fui son pays sous la terreur du pouvoir gouvernemental de Poutine, sur les territoires de la Russie. 

S, a été élevé par ses grands-parents, avec un demi-frère et une soeur plus âgés. Peu de temps scolarisé, il aurait dès son adolescence, rejoint les groupes islamiques en Tchétchénie et aurait combattu contre la politique établie sur ces terres par le pouvoir russe. Battu par les autorités russes qui l'avaient mis sous surveillance, il réussit à se libérer de leur joug et décida de s'exiler et rejoindre la France, "accrochés aux wagons d'un train", "blottis dans les marchandises d'un camion". Ce trajet fut long et périlleux, S, en eut beaucoup de séquelles tout comme de la violence subie par les autorités russes.

J'ai rencontré S, au sein d'une association locale, venant en aide aux personnes en demande d'asile, principalement d'origine tchétchène, capverdienne. J'étais stagiaire psychologue sans maître de stage (de mon propre gré), a-priori, plutôt "libre" de mes mouvements et décisions, puisque de surcroît, le responsable de l'association était souvent en déplacement (centre de rétention, préfecture, rédaction de compte-rendu en son domicile) et m'admit dès le départ, sous une fonction de "psychologue" à part entière. Je fus honorée de cet accord qu'il me donna, non seulement parce que j'étais passionnée par l'étranger, l'étrangeté, la différence, l'exil, la précarité... et que j'allais donc enfin, pouvoir me confronter à toutes problématiques relatives; mais aussi, parce que je sentais que cet homme anciennement journaliste, militant, fondateur de l'association, puis enfin, écrivain public, me faisait confiance et attendait quelque chose de mes compétences pour les sujets qu'il recueillait. Je sentais que j'avais non seulement, à recevoir, la demande du public accueilli, mais aussi, à la créer!!... Ce fut un défi pour moi, une aventure, une merveilleuse expérience... Je touchais la fin de mon cursus universitaire, et me sentais déjà praticienne. A la faculté, j'entendais parler les étudiants de leur crainte de se retrouver seule face aux patients, je les voyais surpris de ma décision de faire ce stage sans maître. Il eut "une fois", où j'eus reçu leur avis lors d'un temps d'analyse des pratiques où je bravais ma timidité et ma réserve pour parler de mon expérience face à eux, futurs confrères, installés autour d'une table en U et d'un professeur émérite au bout de celle-ci. Pour "une fois", j'estimais que j'avais ma place, que je pouvais faire sortir tout ce qui séjournait en moi sur ce sujet, sans redouter le regard d'autrui, dépassant son intrusion dans ma personnalité. Pour "une fois" je sentais que je pouvais parler car aussi perfectionniste que ma tendance me fait être, je maîtrisais de conséquentes connaissances sur ce sujet. En ce temps, formel, objectif, d'analyse des pratiques, je pouvais démontrer ma démarche pré-professionnelle et à travers ça, surtout, au fond, ce qui m'importait énormément, c'est je pouvais dresser mon constat du traitement des sujets en demande d'asile dans notre société!... Nombre de l'assistance me fit part de son émotion face à mon discours et m'encouragea à continuer ma pratique avec courage. "Courage"... Mot si aisément manipulé... S'agit-il de courage ou profondément, de conviction, pour frotter sa profession à diverses frontières (humaine, politique, géographique, médicale, ...) ?

Sur un tel terrain de pratique, association, institution accueillant une telle population, comment ne pas se sentir libre face à des gens qui ont su, inéluctablement, user de leur Liberté ? Et à la fois, comment ne pas se sentir prisonnière par tout ce que le statut d'étudiant nous inflige ? Enfin, en miroir, comment ne pas se sentir captivée par la parole de ces sujets, devenus quelque part, prisonniers sur notre territoire... Contraints à se cacher, contraints à travailler au noir, contraints à recevoir une carte de "personne en demande d'asile" pour pouvoir bénéficier des transports en commun,... Prisonniers tout autant que chez eux, au Daguestan, en Tchétchénie, en Géorgie, au Cap-Vert, au Burundi,... de leur liberté d'agir. Prisonniers ici aussi, d'une politique et d'une mentalité enracinée de préjugés... Prisonnière moi-même de ma fonction de psychologue qui ne me permet pas d'entraver une certaine méthode. Prisonnière citoyenne, contestataire, de notre politique à l'égard de "l'immigration". 

Il y a des actions que j'aurais aimé mener et que le statut d'étudiante, ne m'a permis de faire, il y en a d'autres que je devais éviter mais qu'engagée et passionnée non seulement, intimement, mais aussi, professionnellement, j'ai réalisé: Des lettres pour le dossier des sujets en demande d'asile, des accompagnements à la préfecture, des accompagnements chez le psychiatre, chez l'expert neurologue (d'ailleurs, en ce qui concerne S, pour témoigner de ses cicatrices crâniennes et d'un éventuel traumatisme crânien subi suite aux violences des autorités russes), puis des interventions dans un squat d'un immeuble. Interventions où j'ai évité, une fois, de peu, la descente de la police, ...

Le psychologue a-t'il à se déplacer, sortir de son cadre conventionnel, intervenir dans un tel lieu où les bruits, les genres, les odeurs se mélangent et une couverture au ras du sol ou un bout de matelas, remplacent le fauteuil du professionnel et de son patient ? 

S était bénévole à l'épicerie de cette association. Je ne répondais pas vraiment à ses regards, à ses appels à la croisée d'un couloir, à ses attentes devant le local du bureau... Lui, sur le maigre trottoir, debout, à toujours espérer que je lui accorderais du temps, une fois ma journée finie. Il ne se présentait pas dans une démarche de travail psychologique mais dans une démarche amicale... A vrai dire, sentimental... C'est pourquoi je me refusais préalablement, de prendre du temps pour répondre à ces signaux, j'en fis, plus tard, abstraction et l'amitié naquit...

A force d'insistances de sa part, un jour, j'ai décidé de ne plus suivre les recommandations de mes proches (toujours sur la réserve et même plutôt réfractaires, lorsqu'il s'agit de travailler auprès de personnes "étrangères" ou "dans la misère"...), de dépasser mon statut d'étudiant, d'éloigner ma fonction de psychologue, pour simplement faire connaissance avec la personne, plus que le bénévole, ou le demandeur d'asile. 

Au fil de longs et nombreux moments partagés, S décida enfin de me narrer quelques éléments de son trajet migratoire et de sa raison. De fil en aiguille, je découvrais toutes les atrocités, terrorisantes que les autorités russes faisaient vivre à ces gens du Daguestan, de la Tchétchénie.

Ce que vous croyez pouvoir imaginer n'est que 20% de ce que ces gens subissent, "réel"lement. Le discours de S, restait mesuré par sa pudeur et sa volonté de reconstruction. J'eus connaissance d'une terrible et "inhumaine" violence dans le récit de ce bénévole, mais aussi, au sein de toutes les rencontres menées, n'épargnant ni femme, ni enfant, ni homme.

S au bout de plusieurs mois, soutenu par le responsable de l'association me demanda de faire une lettre sur son état psychologique pour appuyer son dossier pour l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Il avait déjà été amené à faire appel à deux reprises et il trainait sa demande depuis plus de six ans. Cette rédaction de ma part était une pièce de grande valeur pour témoigner de son traumatisme psychique et de son intégration et insertion, dans notre société. Somme toute, pour démontrer qu'il était en danger dans son pays et que son exil était "justifié". Mon stage terminé, j'appris quelques semaines plus tard que S avait obtenu le droit d'asile!...

L'immigration semble vous déranger parce qu'elle appelle tout "l'inconnu" qui vous habite, "l'inconnu" qui se retrouve en l'étranger. 

Vous pouvez suivre l'actualité à travers la qualité que nos mentalités nous conduisent à avoir de nos médias (TV, radio, Internet, presse), moi je la survole plus que l'entends, ou la regarde, tant elle est nourrie de Poutine, de Jeux Olympiques qu'on place derrière "la candeur et la grandeur" dont voudrait nous berner cet homme d'Etat qui les reçoit.

J.O en Russie: A la mémoire du bénévole d'origine caucasienne, devenu mon ami... A nos consciences de citoyens face aux débas menés sur l'immigration...

"Liberté Fraternité Egalité" , mémoire, transmission ou morale ?

 

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Commentaires
L
j'admire les personnes habitées comme telle par une passion, d'autant plus pour son métier... ça ne peut peut mener qu'à de grandes choses!
A+A- : Ecrits d'âme d'une jeune psy
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